SELON les enseignements de la société Watchtower :
« Dieu a fait écrire dans la Bible : « Je suis Jéhovah, c’est là mon nom » (Isaïe 42:8, Crampon [1905]). C’est vrai qu’il porte également de nombreux titres, comme « Dieu Tout-Puissant », « Souverain Seigneur » et « Créateur ». Toutefois, il honore ses adorateurs en les invitant à l’appeler par son nom (Genèse 17:1 ; Actes 4:24 ; 1 Pierre 4:19). [...] En français, Jéhovah est une forme du nom divin utilisée depuis des siècles. Certains spécialistes préfèrent le rendre par Yahvé, mais Jéhovah est la forme traditionnelle. La première partie de la Bible a été écrite en hébreu, qui, contrairement au français, se lit de droite à gauche. Dans cette langue, le nom divin est composé de quatre consonnes : יהוה. Ces caractères, transcrits YHWH, forment le Tétragramme. » — Dieu a-t-il un nom ?, jw.org.

Quelle est vraiment l'origine du nom « Jéhovah » — et s'agit-il vraiment du nom de Dieu ?
Dans la Traduction du monde nouveau (TMN), la Bible des Témoins de Jéhovah affirme que le nom divin « Jéhovah » signifie « il fait devenir ».(+) Pourtant, l'explication proposée par cette traduction ne correspond ni à l'origine du tétragramme YHWH, ni à l'explication que Dieu donne lui-même de son Nom dans l'Ancien Testament :
« Dieu dit à Moïse : JE SUIS CELUI QUI SUIS. Voici, ajouta-t-il, ce que vous direz aux enfants d’Israël : CELUI QUI EST m’a envoyé vers vous. » — Exode 3:14, Traduction selon la Vulgate dite Bible de Gustave Doré, édition de 1866. [Comparer les Bibles]
Cette définition produite par la WTBTS vise à donner une légitimité spirituelle à un mot qui n'existe ni dans l'hébreu biblique, ni dans les manuscrits anciens.
Mais voyons pourquoi...
Le Nom divin dans l'hébreu ancien
Dans le texte hébreu de l'Ancien Testament, le Nom divin apparaît sous la forme des quatre consonnes YHWH, appelées le tétragramme. Cette écriture est attestée dans les manuscrits les plus anciens, notamment ceux retrouvés à Qumrân, datés du IIIe au Ier siècle av. n.è.(1)
Les sources juives du Ier siècle, comme Philon d'Alexandrie et Flavius Josèphe, témoignent que, de leur temps, le tétragramme n'était déjà plus prononcé librement et était considéré comme trop sacré — ou peut-être entouré d'une certaine crainte — pour être utilisé dans la lecture publique. La substitution à l'oral par Adonaï (Seigneur), déjà en usage dans la liturgie de cette époque, en est une illustration claire. La Mishnah, rédigée vers 200 de notre ère, confirme que le Nom divin n'était alors prononcé que dans un cadre très restreint : par le grand prêtre, au Temple, lors du seul rituel de Yom Kippour.
Toutefois, aucune de ces sources n'indique à quel moment cette pratique a commencé à s'installer, ni si elle remonte à l'époque du retour d'exil. Elles décrivent seulement un état de fait tardif, sans préciser l'origine exacte de cette restriction.
Des siècles plus tard, entre le VIe et le Xe siècle, les massorètes ont ajouté des signes voyelles au texte hébreu. En plaçant les voyelles du mot Adonaï sous les consonnes de YHWH, ils rappelaient simplement au lecteur que la prononciation à l'oral devait être « Adonaï ». Ce système n'était donc pas une tentative de restituer la prononciation originelle du Nom divin, mais une indication liturgique.
Quant à la forme « Jéhovah », tout laisse à penser qu'elle résulte d'une lecture médiévale erronée de cette notation massorétique, comme l'indique la présence du « J », absent des alphabets anciens.
Ce que dit réellement l'Ancien Testament
Comme mentionné ci-dessus, lorsque Moïse demande à Dieu quel Nom il devra communiquer aux Israélites, la réponse donnée dans le texte hébreu d'Exode 3:14 ne prend pas la forme d'un nom propre, mais d'une déclaration :
« אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה (Ehyeh asher ehyeh) » — Exode 3:14a.
Le texte poursuit :
« וַיֹּאמֶר כֹּה תֹאמַר לִבְנֵי יִשְׂרָאֵל אֶהְיֶה שְׁלָחַנִי אֲלֵיכֶם (Vayomer koh tomar livné Yisra’el : Ehyeh shelachani aleikhem) — Exode 3:14b.
Le terme ehyeh est la forme à la première personne du singulier du verbe hébreu hayah, dont le sens fondamental est « être ». Selon le contexte, ce verbe peut également exprimer l'existence ou la présence. Cette forme verbale appartient au qal, la conjugaison simple et non causative. Dans l'hébreu biblique, ehyeh signifie donc « je suis » ou « je serai » ; il n'a pas de valeur causative et ne signifie pas « faire devenir ». L'hébreu possède des formes verbales spécifiques pour exprimer le causatif, qui ne sont pas employées dans ce passage. Le sens exprimé ici est celui de l'existence et de la permanence : Dieu se définit comme Celui qui est et qui sera.
Cette lecture correspond au texte hébreu biblique tel qu'il est transmis dans la tradition massorétique et reproduit dans les éditions modernes. Elle est consultable en ligne, notamment sur Mechon-Mamre et Sefaria, qui reproduisent le texte biblique hébreu traditionnel à partir de manuscrits médiévaux de référence, comme le Codex d'Alep.(2)
L'origine catholique du Nom « Jéhovah »
« On ne connaît pas les voyelles utilisées à l’origine pour prononcer le nom de Dieu. » — Vidéo : Dieu a-t-il un nom ?, ► 1:39 min, jw.org.
La première apparition connue d'une forme voisine du nom divin « IEHOVA » remonte aux alentours de l'an 1270, dans l'ouvrage Pugio Fidei du moine dominicain catholique Raymond Martini (Raymundus Martini).(3)
Plus de deux siècles plus tard, en 1518, Petrus Galatinus, théologien franciscain de la Renaissance, reprend cette lecture issue de la combinaison des consonnes YHWH et des voyelles d'Adonaï, et l'introduit dans De Arcanis Catholicae Veritatis. À partir de cette époque, cette forme commence à circuler plus largement dans les milieux catholiques, puis chez les premiers réformateurs protestants.
Vers 1530, le théologien Johannes Forster utilise également « IEHOVA » dans ses travaux philologiques. Quelques décennies plus tard, en 1569, la Bible latine d'Emmanuel Tremellius adopte à son tour cette forme. Une édition révisée de cette Bible, publiée en 1579, l'emploie de manière systématique dans tout l'Ancien Testament.
Avant le XVIe siècle, aucune Bible, aucun manuscrit, aucune source juive et aucune tradition hébraïque ne contient la formulation « IEHOVA ». De ce fait, la forme médiévale « IEHOVA », dont dériveront plus tard « Jehova » puis en français « Jéhovah », trouve ses origines dans le catholicisme.
En conclusion
L'examen du texte biblique, de la langue hébraïque et de l'histoire de la transmission, montre que le nom « Jéhovah » ne provient ni de la Bible hébraïque ni du Nouveau Testament. Aucun manuscrit hébreu ancien ne contient cette forme, et aucun manuscrit grec du Nouveau Testament n'emploie le tétragramme YHWH, écrit en caractères hébreux ; les auteurs utilisent exclusivement les termes grecs Kyrios (Seigneur) ou Theos (Dieu), y compris lorsqu'ils citent ou font référence à des passages de l'Ancien Testament. Introduire le nom « Jéhovah » dans le Nouveau Testament moderne est donc historiquement et linguistiquement incohérent, d'autant plus que cette forme n'apparaît qu'au XIIIe siècle, soit plus de mille ans après la rédaction de ces textes.
La définition « il fait devenir », proposée par la société Watchtower dans la Traduction du monde nouveau, ne repose sur aucun fondement biblique. Le texte inspiré rapporte que Dieu explique lui-même son Nom par une déclaration d'existence — « Je suis » — et non par une action causative. De toute évidence, cette redéfinition relève d'une interprétation doctrinale, et non d'une traduction fidèle du texte hébreu.
Il est enfin établi que la forme « IEHOVA », à l'origine de « Jéhovah », apparaît pour la première fois au Moyen Âge dans les écrits de théologiens catholiques, notamment chez le moine dominicain Raymond Martini.
À la lumière de ces éléments, une question importante demeure :
Puisque la Bible présente Dieu comme Celui qui est, et puisque Jésus lui-même enseignait à ses disciples — et à tout son auditoire — à reconnaître Dieu d'abord et avant tout comme notre Père céleste, l'usage d'une prononciation tardive et déformée du Nom divin ne relève-t-il pas d'une question de conscience et de modestie, conduisant certains à préférer s'en abstenir afin de cultiver une relation sincère, authentique et respectueuse avec Dieu ?
(+) Voir l'évolution dogmatique entre la TMN de 1995, page 1642 § 1 et la TMN de 2018, page 1863 § 2.
(1) Voir Wikipédia : Manuscrits de la mer Morte ; Les amulettes de Ketef Hinnom (VIIe siècle av. n.è.) contiennent une version du texte de Nombres 6:24-26, c'est actuellement la plus ancienne citation d'un texte biblique connue au monde. Voir également : La stèle de Mésha du IXe siècle av. n.è.
(2) Voir le texte hébreu biblique d'Exode 3:14, tel qu'il est reproduit sur Mechon-Mamre et Sefaria.
(3) Voir Wikipédia : Raimond Martin.
Exode 6:2-3 | Exode 20:7 | Psaumes 146:3 | Proverbes 3:5-6 | Jérémie 17:7 | Matthieu 7:15-16 | Ephésiens 4:25 | Colossiens 3:9 | I. Thessaloniciens 5:21