La fille de Jephté, et l'ostracisme

Mise à jour du 18 avril 2020.
LE RÉCIT de la période des Juges, le septième livre de la Bible, raconte l'histoire de Jephté, un chef de guerre qui aurait fait le vœu à Dieu, en échange de sa victoire, de lui offrir en holocauste la première personne qui sortirait de sa maison à sa rencontre, lorsqu'il retournerait chez lui de son combat contre les fils d'Ammon ; mais loin d'imaginer cela, ce fut sa propre fille qui se présenta ( Juges 11:1, 30-31, 34 ).

Refusant de voir en ce récit toute éventualité d'une simple légende et d'une œuvre purement littéraire, nombreux sont ceux qui tombent dans l'interprétation. Par exemple, certains pensent que sa fille, dont le prénom n'est pas mentionné, aurait été consacrée à Dieu toute sa vie au Tabernacle, à Silo. Certes, au premier abord, ce raisonnement peut sembler tout à fait honorable ; mais en réalité, par cet élan eisegèse, ils transforment aussi ce texte en un récit misogyne, tout en imputant à Dieu son inspiration absolue.

De plus, certains récits bibliques plus ou moins épurés de leurs violences sont également racontés à un jeune public, qui dès le plus jeune âge, et en ce qui concerne l'histoire de la fille de Jephté, encourage l'ostracisme et le célibat à l'âge adulte, au profit d'une organisation.

Jephté, a-t-il offert sa propre fille en holocauste ou a-t-elle été envoyée servir Dieu toute sa vie au Tabernacle de Silo ? Jephté a-t-il vraiment existé, que dit l'archéologie ? Ce récit est-il digne de foi, inspiré par Dieu lui-même, ou ne s'agit-il finalement que d'une simple légende racontée de bouche-à-oreille, une fiction littéraire religieuse, imprégnée une fois de plus, de violence et de barbarie ?

Traductions, influences et dérives

De tout temps, certains traducteurs de la Bible semblent avoir été influencés par leurs croyances personnelles respectives ; le vocabulaire, l'identité religieuse ou les connaissances scientifiques propres à une époque particulière, se ressentent souvent à la lecture de ces ouvrages.

Quelque peu similaire, Les saintes Écritures traduction du monde nouveau, illustre une situation très différente. Dans cette traduction, le texte part du postulat que la fille de Jephté* fut consacrée à Dieu toute sa vie « au Tabernacle de Silo ». Complètement réadaptée autour de cet enseignement chambardé, l'histoire reflète également les exigences, parfois violentes, des dirigeants autoritaires de cette organisation. En effet, celle-ci va jusqu'à inclure une forme indirecte d'encouragement à l'ostracisme, qui ne se retrouve dans aucune autre version ! [Comparer les Bibles]

Voici donc ci-dessous, le récit de cette histoire, dans l'ensemble des différentes éditions complètes de la TMN, parues en français depuis 1974 :

Une parenthèse étonnante, qui souligne bien malheureusement une fois de plus, la perversité et la dangerosité de cette organisation trompeuse.

En complément, voir le sujet : La radicalisation des témoins de Jéhovah, quand cessera-t-elle ?.

Contexte biblique et rôles des Lévites

D'après les éléments du récit, cet épisode se serait déroulé bien avant la naissance du roi David, qui par la suite, réorganisa le service des Lévites ( I Chroniques 23:3-6, 24-32 ), initialement mis en place par Moïse ( Nombres 3:5-51 ). Selon la suite du livre des Juges, à cette époque biblique, le Tabernacle se trouvait à Silo, au nord de la ville de Béthel ( Juges 18:31b, 21:19 ) ; Jephté et sa fille auraient habité à Mitspa, au pays de Tob ( Juges 11:3, 34 ).**

Qui étaient les Lévites ? Pourquoi s'y intéresser ? Quel rapport y a-t-il avec le récit de la fille de Jephté ?

Au sens propre du terme, les Lévites étaient les premiers-nés masculins issus de la lignée de Lévi, le troisième fils né de Léa et du patriarche Jacob ( Genèse 29:32-34, Nombres 3:17, 40-41 ).
Dénombrés depuis l'âge d'un mois, leurs consécrations consistaient à aider les prêtres préposés aux sacrifices, en accomplissant les différentes tâches du Tabernacle ( Nombres 3:5-6, 1:50 ). Les fonctions sacerdotales étaient uniquement réservées aux hommes descendants de la famille d'Aaron ( Nombres 3:2-3, 9-10 ), lui-même issu des familles de Lévi ( Exode 6:18-20 / Nombres 26:59 ) ; ainsi, les Lévites aidaient les prêtres dans leurs tâches, en s'occupant de tout le service, du transport et de la sécurité du Tabernacle ( Nombres 3:36 ).
À cette époque, avant la réorganisation du roi David, un Lévite ne pouvait prendre ses fonctions qu'à partir de l'âge de 25 ans ( Nombres 8:23-26 ), et l'application de la Loi était ferme sur ce sujet, seuls les descendants d'une certaine lignée pouvaient accéder à certaines fonctions du Tabernacle. Par exemple, un Galaadite ne pouvait pas y participer ( Esdras 2:61-62 ) ; et selon le récit, Jephté était justement un Galaadite, une tribu descendant de Manassé ( Nombres 26:29 / Juges 11:1 ).

Le vœu de naziréat

Contrairement aux rôles des prêtres et des Lévites qui étaient chargés de s'occuper de manière permanente, méthodique et organisés de l'ensemble des tâches du Tabernacle, et devaient être issus exclusivement de la gent masculine de la tribu de Lévi, la Bible parle aussi du vœu de naziréat. Celui-ci ne dépendait pas de l'appartenance à une tribu particulière, et pouvait être effectué tant par un homme que par une femme ( Nombres 6:2 ).

D'après la Loi de Moïse, ce vœu de naziréat se faisait pour une durée temporaire, et le nazir devait seulement suivre trois commandements : (1) S'abstenir de toute boisson alcoolisée, ainsi que de tout produit issu de la vigne ; (2) Ne pas couper ses cheveux ; (3) Ne pas s'approcher ou toucher un corps mort ( Nombres 6:3-6 ). L'ensemble des instructions concernant ce vœu de consécration particulier, est consigné dans le livre des Nombres ( Nombres 6:2-21 ), mais aucune de celles-ci ne parle d'une obligation ascète de célibat à vie, que la fille de Jephté dut être obligée de pleurer durant 2 mois.

Une croyance misogyne

De plus, selon certains récits, certaines personnes auraient été des naziréens à vie, de par la volonté de Dieu ; ce fut par exemple le cas de Samson ou de Samuel ( Juges 13:7 / I Samuel 1:20, 25-28 ).
Une personne tenue par ce vœu perpétuel pouvait également accomplir certaines tâches pour le Tabernacle, à condition d'entrer dans le cadre des critères de sélection des Lévites : ce qui fut le cas de Samuel ; sa mère, en effet, demandait à Dieu un enfant « mâle » afin de pouvoir le consacrer à Dieu au Tabernacle ( I Samuel 1:11, 2:18 ).
Bien qu'ayant des frères et sœurs germains consanguins plus âgés, de par son père Elkana et de sa seconde mère Pennina, Samuel était un Lévite, le premier-né d'Anne, sa mère maternelle ; son père était issu d'entre les Kehathites, l'une des trois familles de Lévi ( I Samuel 1:1-4 / I Chroniques 6:16, 34-38 ). La Bible ne mentionne pas l'origine généalogique d'Anne, mais uniquement celle d'Elkana ; dans la Bible, la lignée généalogique d'une tribu est également exprimée au masculin.

Mais quel rapport avec la fille de Jephté ? En quoi le fait de croire qu'elle fût consacrée à Dieu toute sa vie par un vœu de naziréat peut-il rendre ce récit misogyne ?

Et bien, tout comme les prêtres et le grand-prêtre du Tabernacle, dont le prophète Éli son mentor faisait partie, Samuel qui était à la fois un « naziréen » perpétuel et un « Lévite », avait aussi une vie de famille et des enfants ; il habita même à Rama, sa vie natale ( Lévitique 21:7, 10-13 / I. Samuel 2:12, 1:11, 7:17, 8:1 ) !

Les femmes de Silo

C'est ici que cette boucle maladroite de traduction semble s'être initialement formée, et que tout lecteur particulièrement attentif devrait comparer à la lumière des nombreuses autres versions disponibles. Parfois cités en références, comme les divers points abordés dans ce sujet, plusieurs traductions de la Bible, dont la TMN, émettent l'idée dans deux versets qui se rapportent à deux époques, antérieures et postérieures à la période des Juges, que certaines femmes effectuaient un « service organisé » pour le Tabernacle de Silo ( Exode 38:8 / I Samuel 2:22 ).
Comme cette étude quelque peu détaillée et neutre s'est efforcée modestement de le démontrer, cela semble bibliquement impossible, tant pour homme que pour une femme « non-issu(e) de cette lignée de Lévites ». Par ailleurs, il faut aussi comprendre qu'en cette époque biblique, pleine de violences et de barbaries, les femmes étaient parfois extrêmement déconsidérées et l'objet de convoitises dégoûtantes et des plus cruelles ( Juges 21:10-12 ), où certaines lois abominables, dites pourtant « inspirées de Dieu », n'existaient curieusement pas au masculin ( Lévitique 21:9 ).

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* Depuis sa première édition complète en français de 1974 et la suivante de 1987, la TMN rendait le nom de ce personnage par « Jephté », mais dans la troisième édition de 1995, celui-ci fut rendu par « Yiphtah ». La lumière du collège central étant censée être toujours croissante, il est donc étonnant de constater que celui-ci est à nouveau traduit « Jephté » dans la nouvelle édition parue en 2018 (Comparer également la liste des livres dans ces versions).
** D'après le récit, le Tabernacle aurait été déplacé à Silo sous l'autorité de Josué, bien après la mort de Moïse ( Josué 18:1 / Juges 21:19 ). Dans le début du récit de Jephté, il est dit que celui-ci habitait au pays de Tob ( Juges 11:3 ), à Mitspa ( Juges 11:34 ). À ce jour, il n'existe toujours aucune preuve archéologique de l'existence de ce personnage, de ce pays ou de cette région (Voir la confirmation au sous-titre « TOB » dans le livre : Étude perspicace - volume 2, édition de 1997, p. 1084).
Revue : La tour de garde du 15 novembre 1987, Le célibat : un mode de vie enrichissant, page 17 § 9, 11 ; Livre : J’apprends en lisant la Bible, édition d'août 2017, pages 88-89 § 2-3 ; Livre : Recueil d’histoires bibliques, édition de 1980 & 2006, pages 53-54 ; Brochure : Nos petites leçons bibliques, édition de 2014, page 11 § 2-3. [Afficher les citations]



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Le 29 mars 2024, 11:50
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